En France, plusieurs théâtres interdisent encore le port de vêtements verts sur scène. Cette règle, transmise de génération en génération, s’inscrit dans une tradition qui perdure malgré les évolutions du spectacle vivant. Rares sont les exceptions, et ceux qui s’y risquent s’exposent à la réprobation de leurs pairs.
La mention du vert sur les costumes, sur les affiches ou même dans les accessoires reste un sujet délicat pour de nombreux professionnels. L’impact de cette croyance va jusqu’à influencer le choix des tenues lors des répétitions ou des représentations importantes.
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Le vert au théâtre : d’où vient cette étrange réputation ?
Impossible de passer à côté : la couleur verte a longtemps été tenue à l’écart des planches. Si l’on remonte le fil de l’histoire du théâtre, la méfiance s’ancre autant dans la symbolique que dans la réalité des ateliers de costumes. Michel Pastoureau, historien reconnu et spécialiste des couleurs, le rappelle : le vert inspire l’instabilité, la transition, parfois même la fatalité. Rien d’étonnant à ce qu’une telle couleur ait fini par cristalliser les peurs des comédiens.Mais ce n’est pas seulement une question de superstitions entretenues dans l’ombre des coulisses. Pendant des siècles, fabriquer une teinture verte résistante relevait du défi. Les artisans utilisaient des pigments comme le vert-de-gris ou l’arséniate de cuivre, des substances toxiques qui n’épargnaient ni la peau ni la santé des artistes. On parle d’irritations, de vertiges, parfois d’empoisonnements insidieux. Ajoutez à cela une couleur difficile à fixer sur les tissus, et le vert s’impose vite comme un risque professionnel autant que symbolique.Ce contexte a nourri la croyance que porter du vert sur scène portait malheur. L’ombre de la toxicité a forgé une tradition tenace. Aujourd’hui encore, la couleur verte reste associée à l’incertitude, au passage, quand le rouge ou le bleu s’imposent comme des choix bien plus rassurants. La prudence, elle, a traversé les siècles, continuant d’influencer l’esthétique et la pratique du théâtre en France.
Entre croyances populaires et anecdotes historiques
L’histoire du théâtre regorge de légendes qui s’invitent dans les usages. L’interdit frappant les costumes verts ne date pas d’hier. Dès le XVIe siècle, les comédiens redoutaient les effets nocifs des teintures utilisées, en particulier le fameux vert-de-gris et l’arséniate de cuivre. Ces pigments, nécessaires pour obtenir un beau vert, provoquaient bien plus que de simples démangeaisons : malaises, vertiges, voire intoxications sérieuses sont documentés.La contamination allait au-delà des costumes. On retrouvait ces produits dangereux jusque dans les coulisses et les ateliers, exposant toute la troupe. Plusieurs histoires rapportent des comédiens frappés de malaises mystérieux après avoir endossé des habits verts. Résultat : une couleur vite associée à la malchance, un symbole de danger bien ancré dans l’esprit des troupes.Une histoire tenace met aussi en scène Molière, mort après avoir joué « Le Malade imaginaire » dans un habit vert, selon la rumeur. Pourtant, les recherches récentes montrent que Molière portait vraisemblablement du rouge ou du pourpre ce soir-là. Mais la légende a fait son œuvre : pour beaucoup, la couleur verte reste liée à un mauvais présage, et ce récit a suffi pour l’ancrer dans la tradition théâtrale.
Comment la superstition du vert influence encore les artistes
L’influence du vert honni ne s’est pas dissipée. Même sous les projecteurs du XXIe siècle, la crainte subsiste. Certains comédiens refusent catégoriquement d’enfiler un vêtement arborant cette couleur, quitte à modifier des choix de mise en scène. Les directions de théâtre, elles, optent souvent pour des nuances voisines, histoire de ne pas heurter la sensibilité des troupes. D’un metteur en scène à l’autre, la transmission orale et les récits d’accidents renforcent la prudence, génération après génération.Le théâtre cultive d’autres tabous tout aussi vivaces. Sur certaines scènes, le mot « Macbeth » n’est jamais prononcé à voix haute, tant la pièce de Shakespeare reste liée à une longue série de catastrophes. On croise parfois une « ghost light », cette lampe solitaire laissée allumée sur un plateau désert pour éloigner les fantômes supposés. Même le langage des fleurs n’échappe pas aux codes : œillets pour ceux qui s’en vont, roses pour ceux qui restent, chaque geste ayant sa place.Ces rites ne servent pas qu’à conjurer le sort : ils soudent les équipes, créent un sentiment d’appartenance. Sur les ondes de France Inter, Amandine Gallienne et Jean-Gabriel Causse l’ont souligné : la superstition, loin d’être un frein, rassure et fédère ceux qui affrontent l’aléa du spectacle vivant. La peur du vert, toujours présente, s’inscrit dans une cartographie secrète des petites et grandes peurs du théâtre.
Ce que révèle cette tradition sur le monde du spectacle
Les superstitions théâtrales ne connaissent pas de frontières. Si la France bannit le vert, d’autres pays ont leur propre couleur maudite : bleu au Royaume-Uni, violet en Italie, jaune en Espagne. Partout, ces codes témoignent de la place des croyances dans le spectacle vivant. Le vert concentre des symboles contradictoires : instabilité, jeunesse, hasard, fortune, mais aussi des figures inquiétantes, de Judas aux sorcières, des démons aux extraterrestres.Ce folklore révèle la perméabilité du théâtre à la symbolique et à la tradition orale. Chaque soir, les artistes affrontent l’incertitude et le risque, cherchant dans ces gestes rituels une protection, un ciment de troupe. Pour Jean Cocteau ou Charles Baudelaire, ces croyances faisaient partie du charme du métier, un supplément d’âme qui unit les comédiens face à l’imprévisible.
Voici quelques exemples marquants de couleurs proscrites sur scène selon le pays :
- En France : le vert est banni des planches.
- Au Royaume-Uni : le bleu porte malheur.
- En Italie : le violet est proscrit.
- En Espagne : le jaune fait fuir les comédiens.
Au fil du temps, ces codes et ces gestes, même privés de leur sens d’origine, tissent un langage partagé. Sur scène, derrière le rideau, chacun sait ce qu’il vaut mieux éviter. Le théâtre, cet art de l’éphémère, s’est inventé ses propres balises pour apprivoiser l’inconnu. La superstition du vert, loin de n’être qu’un détail pittoresque, continue d’inviter à la prudence, et à la cohésion, chaque fois qu’une troupe s’apprête à entrer dans la lumière.


